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Asphyxie par appel d'offres

Article publié le 07/08/2017 et mis à jour le 10/04/2021

L’appel d’offres, également connu sous l’appellation RFP (Request For Proposal), est un moyen courant pour les entreprises de choisir un fournisseur. Mal nécessaire dans le secteur public où l’on n’a encore rien trouvé de mieux pour conserver des apparences d’objectivité et d’égalité de traitement, cette pathologie s’est largement répandue au secteur privé, qui n’a pourtant pas d’obligation légale de suivre une telle procédure.

L’idée est de mettre plusieurs entreprises en concurrence (ce qui est une bonne chose) pour choisir en ce qui nous concerne un logiciel, mais en utilisant un canal de communication étriqué et inadapté pour les évaluer (ce qui est une mauvaise chose).

Le RFP prend la forme d’un mélange en proportions diverses de cahier(s) de charges, formulaire d’auto-évaluation, questionnaire(s) de sécurité, le tout accompagné de notices explicatives plus ou moins obscures. Une partie des documents prend la forme de tableaux Excel de longueur très variable, allant de quelques dizaines à plusieurs centaines voire un millier de questions.

Dans certains cas, un RFP peut (im)mobiliser la moitié d’une petite entreprise durant deux ou trois semaines.

L’objectif du RFP est de permettre au commanditaire de faire un choix éclairé. Le soumissionnaire vise l’obtention d’un contrat. L’expérience m’enseigne cependant que cette pratique entraîne de nombreux effets néfastes, tant pour l’un que pour l’autre.

Commanditaires

Si vous êtes commanditaire, songez que :

Pour ne rien arranger, vos questions et exigences en disent souvent long sur vos possibles angoisses et fixations. Des questions formulées de manière curieusement spécifique témoignent souvent d’une expérience passée traumatisante. Parfois se révèle un besoin excessif de contrôle.

Soumissionnaires

Avant de répondre (surtout si vous êtes une petite entreprise), vous savez peut-être déjà que :

Tuer l’innovation

Lors d’un développement pour lequel j’ai participé à de trop nombreux RFP, l’effet innovation killer était particulièrement flagrant. Sans fausse modestie, notre produit se démarquait fortement de ceux de nos pâles concurrents. Une des attentes des clients, basée sur des pratiques dépassées et jamais remises en question, était de prévoir dans le logiciel au moins un niveau d’approbation des choix de l’employé par son management. Nous étions arrivés à la conclusion que cette fonctionnalité disponible presque partout ailleurs était non seulement inutile mais même en contradiction avec le but recherché. Parce que nous avions abordé le problème autrement, nous pouvions et devions nous en passer. Quand un prospect nous demandait lors d’une interview : “quels processus de validation avez-vous prévu?”, notre réponse ne manquait pas de l’étonner, mais entrainait presque toujours une forte approbation.

C’était toujours pour nous une manière de sortir du lot. Mais quand le moyen de communication était un fichier Excel par RFP interposé, notre réponse inattendue (il n’y a pas de fonctionnalité d’approbation) tirait le score vers le bas (visible dans Excel) tandis que celui de nos concurrent peu imaginatifs augmentait. L’innovation n’avait pas sa place.

Copinage

Je ne dispose pas de chiffres sur les pratiques de favoritisme et de copinage, mais sur une base purement empirique, d’expériences vécues personnelement ou rapportées par d’autres dirigeants, je dirais que cette pratique n’est pas rare. Comme dit le diction : “Look around the poker table; if you can’t see the sucker, you’re it”. Si vous n’avez pas connaissance d’un favoritisme, c’est peut-être qu’il existe, en votre défaveur.

SLA, SaaS, appropriation et forfaits

… sont autant de mines posées sur un terrain malsain.

Imposer un SLA n’est pas en soi mauvais. Ce qui dérange, c’est quand il est accompagné de pénalités exorbitantes alors que le revenu du contrat n’est pas si important. Par exemple : on vous paie 10€/utilisateur/mois pour 1000 utilisateurs mais vous risquez des milliers d’euros d’indemnité à la moindre interruption de service. Regardez ce qu’“offrent” Google et Amazon : de base, rien de plus que ce que vous avez payé au prorata de la durée de la panne.

Regardez ce qu’offre OVH, et réalisez à quel point certaines demandes sont risibles.

Les clauses d’appropriation de la propriété intellectuelle sur le RFP sont une abomination. Non seulement vous devriez passer du temps à répondre, sans garantie d’aboutir, mais ce que vous proposez deviendrait la propriété du commanditaire, même si votre offre n’aboutit pas? Les pratiques malfaisantes ne connaissent pas de limite.

L’obligation de faire valider une nouvelle version du logiciel par le client est incompatible avec un produit SaaS. Elle n’est possible que si vous considérez le contrat comme étant du développement spécifique pour le client, ce qui implique une équipe organisée et dimensionnée en conséquence. Dans cas, le logicel devient en grande partie la chose du client. Vous n’êtes plus maître de ses phases de développement. Si ce n’est pas comme cela que vous l’entendez et si votre modèle n’est pas celui-là, vous seriez fou d’accepter une telle obligation.

N’allez pas imaginer que ces clauses sont juste là parce qu’elle sont “standard”, ou qu’elles ne trouveront pas à s’appliquer. Si c’était le cas, il suffit de les barrer? (Eclats de rire dans la salle.) Il n’y a rien de standard, et toutes ces clauses résultent de mauvaises intentions.

Enfin, les forfaits à donner sur de vagues descriptions manquent de sérieux et de crédibilité. Vous imaginiez un entrepreneur en bâtiment qui vous remettrait un prix “pour refaire la salle de bain”, sans plus de détails et sans passer sur place?

Faites un choix éclairé

Répondre à un RFP n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela fait partie de la stratégie de certaines sociétés qui sont organisées en conséquence : collaborateurs admin et techniques en suffisance pour se plier régulièrement à cet exercice et drillés pour répondre favorablement sans trop se mouiller, département de consultance pour survendre au prix fort des options ou des services en réalité indispensables, para-légaux pour s’assurer que les points sont bien sur les i et pour crier à la caducité de la procédure si un concurrent a loupé un détail prévu à peine de nullité, fourniture d’un produit low-cost ou minimaliste qui nécessitera inévitablement des adaptations payantes, absence d’innovation etc. C’est un modèle d’affaires parfaitement valable.

Là où ça devient problématique, c’est quand votre entreprise qui n’est pas organisée à cette fin se laisse attirer par les sirènes des RFP. Certains appels ponctuels d’offre sont irrésistibles et peuvent même être salutaires, mais le coût d’opportunité, à savoir le temps et l’effort détourné de votre produit et de vos clients est facilement sous-estimé. Répétez l’opération et l’asphyxie se fera sentir. Acceptez des clauses délirantes à sens unique et vous passez la corde autour de votre propre cou.

Pour caricaturer, un RFP, c’est une société qui vous demande de consacrer des heures voire plus d’une semaine pour décrire les détails techniques pour harnacher des chevaux à un attelage, sans aucune garantie qu’elle fera appel à vous, alors que ce que vous proposez, c’est un véhicule électrique autonome.

En supposant que la plupart des entreprises sont de bonne foi, et que les critères qualitifs ont leur place, les chances d’arriver à un résultat pertinent et optimal sont finalement bien maigres. Réfléchissez-y bien avant de vous laisser tenter.

Voir également :